• Chapitre 1

                    Le lundi matin, Oliva se réveilla dans sa chambre, l’horloge indiquait neuf heures trente. Il faisait déjà chaud, la lumière filtrait au travers de l’abat-jour et venait l’aveugler sans aucune condescendance. Elle posa un pied au sol, ce même matin, pour se rendre en cours.

                    La pratique courante au réfectoire de Green Gard était de jeter le contenu de son plateau au visage du dernier venu, si l’on estimait que l’on pouvait se passer de petit déjeuner au grand dam du pauvre malheureux qui recevait la nourriture. Olivia s’estima plus qu’heureuse que la timide Mathildy Cambell arrive après elle. Cette vache qu’elle n’aimait pas plus que la dernière de ses chaussettes. Mais ni l’une ni l’autre ne reçut de pain beurré ou de pancake au sirop. Tout d’abord, parce que Olivia siégeait à la table des gens  vénérés par les trois quarts du lycée, et parce que Mathildy était trop mignonne pour qu’on la fasse pleurer. S’il y avait un règle claire et simple à Green Gard, c’était de ne pas se faire remarquer. Olivia repéra son amie Katerina qui lui fit un signe de la main pour l’inviter à sa table, mais ce signe était tout sauf utile si l’on regardait le bonnet jaune fluorescent qu’elle arborait fièrement; on l’aurait vue des kilomètres à la ronde. Olivia posa donc son plateau à côté de l’hispanique multicolore qui croqua dans une carotte avant d’ouvrir la bouche (pleine !) pour parler:

    — Olivia tu ch… Puis elle avala: tu sais que Barry a vendu sa voiture ? Il prend le bus maintenant. Le B-U-S-! Comment je fais pour venir en cours maintenant, moi ?

    — Arrête de te la jouer Drama Queen, Kris… Cria presque Barry en posant son plateau a côté de celle-ci. Si tu n’es pas contente, je reprends mes clefs.

                    Kristina se frotta contre son petit ami en riant. Olivia laisse sa fourchette en suspens, avant de penser à sa propre vie amoureuse. Elle avait trouvé deux ou trois fois l’amour, mais les garçons avaient toujours passé après son image, ce qui avait détérioré toutes ses relations amoureuses. Être un modèle de perfection et de gentillesse pouvait se montrer plus que fatiguant lorsqu’on ne pensait plus qu’à faire une grosse, une grosse, une grosse connerie – inutile de préciser que dans la tête de Olivia, la répétition de l’adjectif grosse revenait plus à un roulement de tambour qu’à autre chose. Il lui fallait une grosse-grosse-grosse-connerie à faire. Plusieurs peut-être même. Olivia sortit un bout de papier de sa poche et commença à lister ce qui lui passait par la tête. 1) Sécher les cours ; 2) Fumer une clope ; 3) Se teindre les cheveux en vert ; 4) Taguer un mur ; 5) Voler dans un magasin ; 6) Boire de la tequila pour la première fois.

    — Qu’est-ce que tu fais ? L’interrompit Kristina en arrachant le papier des mains d’Olivia. Qu’elle lut à voix haute en riant.

    — J’écris une liste des conneries que je ferais peut être un jour… Commença celle-ci avant que l’autre ne l’interrompe :

    — Putain, ce ne sont pas des conneries ça ! elle sortit un stylo de sa poche et commença à griffonner en marmonnant : Se rhabiller… Saouler… Meilleur ami… Dis-moi Barry, c’est mieux comme ça non ?

                    Barry plissa les yeux pour déchiffrer l’écriture en pattes de mouches de sa petite amie, toute fière de ce qu’elle venait d’écrire.

    — 1) Sécher les cours ; 2) Fumer une clope ; 3) Se teindre les cheveux en vert ; 4) Taguer son portrait sur un mur ; 5) Se rhabiller complètement dans un magasin et ressortir sans payer ; 6) Aller en boîte ; 7) Se saouler ; 8) Voler une voiture ; 9) Coucher avec son meilleur ami. Ça en fait neuf tout-pile. Avec qui veux-tu qu’elle couche ? Emile ? Tu es folle, ils se connaissent depuis qu’ils sont nés, leurs mères collaient leurs deux ventres pour que le destin les rendent comme les doigts d’une main. Faut dire que ça a marché, c’est la dernière des filles qui pourrait le faire bander alors qu’elle est tout sauf mal foutue.

    — Ne te gêne surtout pas, je suis là, Barry, j’entends tout. Intervint Olivia avant de lever les yeux au ciel.

    — Et moi, je te fais bander? Fit Kristina en recrachant sa nouvelle carotte de manière à pouvoir parler.

                    Olivia décida d’ignorer ses amis qui commencèrent à se bécoter en face d’elle. Sa liste lui semblait imparfaite avec seulement neuf conneries, elle décida d’en rajouter une après la 8) : Se disputer avec une amie. Comme ça elle aurait toujours un prétexte si Kristina devenait malencontreusement plus chiante qu’elle ne l’était déjà.

    — Que fais-tu ? demanda Emile qui s’était implanté à la table entre temps. Puis à Barry en lui donnant un coup de coude: Arrête de gigoter même si tu es excité, tu veux ?

    — C’est une liste de conneries à faire, celles que je ne ferai probablement jamais avant mes vingt ans. répondit-elle, en cachant celle si sous son coude puis elle agita sa fourchette en direction de son meilleur ami. Dis-moi, tu t’es trouvé une petite copine, ou je continue à être la super copine qui supporte tous les hauts et les bas du grand mélancolique Emile ?

    — Ca avance plus que tu ne le crois, et comme tu te crois si maligne, je vais t’apprendre un truc: elle m’appelle déjà darling.

    — Annnnnnnnh darling ! Se mit à crier Olivia dans le réfectoire. Tu m’accompagne ranger ma chambre?

                    Puis elle tira sur un décolleté inexistant avant de partir en fou rire face au regard incrédule d’Emile qui fit la moue, puis se déplaça à côté d’Olivia comme Barry gigotait trop. C’était sans doute la seule personne avec qui Olivia arrivait à être autre chose qu’une fille cool, ce modèle qu’on exigeait d’elle. Cette fille qui ne fumait pas une clope, qui ne se faisait jamais crier dessus par un prof sénile, qui était belle et qui ne s’était jamais teint les cheveux en rose ou en vert parce qu’elle était cool quand elle parlait. C’était la fille sympa avec tout le monde, et les gens aiment ceux qui sont sympa. Ils les aiment… juste comme ça. Un jour viendrai le moment où elle ferait une connerie, et les gens diront « Ah, cette fille, c’est une mauvaise fréquentation ». Mais Olivia sentait ce jour se rapprocher de plus en plus.

                    Lorsque Barry et Kristina décidèrent d’arrêter de s’échauffer sous le nez de leurs amis, le réfectoire se vida : les cours allaient commencer dans quelques minutes. C’était juste le temps d’aller se donner trois coups de peigne pour ne pas donner l’idée d’avoir passé la soirée à faire la fête. Emile proposa à Olivia de l’accompagner dans sa chambre, de lui donner un coup de main pour la ranger.

    — Dis, s’enquit Emile une fois dans la chambre. Tu ne voudrais pas faire un peu la taupe chez Sybil et sa clique de pétasses pour leur montrer qu’elles ne te prendront jamais la place de seule-fille-encore-cool-à-Green-Gard? Et puis après, on sèchera les cours pour réaliser ta petite liste de conneries.

                    Olivia se baissa pour ramasser un soutien-gorge à fleurs qui trainait au sol puis jeta un regard inquisiteur à son ami qui reprit la parole.

    — Ou bien tu es trop cool pour faire quoi-que-ce-soit ?

                    Olivia finit par accepter, à la grande joie de Emile, qui s’empressa d’empiler tout ce qu’il trouvait au sol en un tas d’objets insolites – Des vêtements, écouteurs, vinyles, pièces de tissus et matériel photo – qui aurait ravi tout collectionneur. Sa caméra était une sorte d’objet fétiche pour elle: jamais sans – sauf pour le breakfast, le lunch, et le dinner, où il valait mieux privilégier la sécurité de l’appareil – elle s’en servait pour tout et la possédait depuis une dizaine d’années. Cela se voyait d’ailleurs à l’œil nu: les dessins et graffitis en rose bonbon Monster High n’étaient jamais réellement partis.

    — Fais tes paquets Liv, on part dans dix minutes après avoir rendu visite à Sybil.

    — Espèce de con, va m’attendre dehors, je me rhabille. Prévint Olivia avant de le pousser hors de sa chambre.

                    Quelques minutes plus tard, Olivia sortit en claquant la porte, la liste de conneries dans la main. Emile haussa un sourcil et elle lui expliqua qu’elle venait de réaliser la longueur du couloir. Celui-ci mesurait un kilomètre de long, pas moins, et son endurance était pitoyable. La chambre des poufiasses se situait à l’autre bout du dortoir. Irrémédiablement, Emile lança un chronomètre pour s’assurer  du temps qu’ils mettraient. Puis ils coururent à leur possible pour arriver jusqu’à la porte de Sybil, où il était indiqué en grosses lettres : « NE PAS ENTRER. DANGER DE MORT » Emile arrêta Olivia qui se bidonnait devant le ridicule du l’interdiction, puis elle frappa à la porte. Personne.

    — On entre ? Interrogea-t-elle l’air pétillant.

                    Il fallait dire qu’elle avait envie de s’amuser aujourd’hui, alors quand Emile hocha la tête elle failli presque enfoncer la porte. Mais celle-ci s’ouvrit sur trois adolescents, complètement nus, en train de jouer aux cartes. Olivia put lire sur les cartes : jeu coquin pour adulte. Définitivement, ces personnes n’étaient pas cool. En une seconde, elles avaient volée l’innocence des yeux des deux meilleurs amis. Bien qu’ils avaient déjà connaissance de la plupart des choses, c’était dur de voir la réalité d’une orgie en face de soi.

    — Sors ta caméra. Souffla Emile, le regard fixé au corps de Jane et Sybil en mouvement.

    — Je la sors. Répondit Olivia.

                    Elle prit quatre photos étranges des corps nus, puis Kilian se mit à crier de toutes ses forces parce qu’il les avait (enfin) remarqués. En courant, Olivia se demanda si elle ne courait pas un marathon continu. Après trois-cents mètres parcourus, ils n’apercevaient plus que le petit corps nu de Jane qui criait au désespoir :

    — Revenez, salauds ! : Ce qu’ils n’avaient en aucun point l’intention de faire.

                    Les joues d’Emile étaient rouges comme le coude d’Olivia, qui avait pris un cadre de porte dans sa course, en plein élan. Après avoir ri d’incrédulité de la scène porno en grandeur nature qu’ils venaient de voir, ils réalisèrent être des fuyards après quelques secondes et continuèrent leur course jusqu’à la porte du dortoir, la sortie de Green Gard. La porte se referma juste derrière eux, ils étaient hors de l’enceinte du lycée : c’était le moment où ils pouvaient rire et crier à la rue entière qu’ils étaient géniaux. C’était aussi le moment de faire une grosse-grosse-grosse-bêtise et Olivia se sentait libre comme l’air ; peut-être que la connerie allait arriver plus tôt que prévu.


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